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Claudie Haigneré : « En orbite, on perçoit la vulnérabilité de notre planète »

Environnement
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Entre émerveillements et inquiétudes, l’astronaute Claudie Haigneré nous livre quelques réflexions sur l’avenir de notre planète. Entretien avec la première femme française et européenne à avoir observé la Terre en orbite.
Paragraphes

Interview de Claudie Haigneré, astronaute

Vous avez été la première astronaute française à être envoyée dans l’espace. Que vous inspire la présence de Sophie Adenot dans la nouvelle promotion européenne ?

J’ai été ravie de cette sélection de l’agence spatiale européenne (ESA). Tout d’abord, elle a suscité un enthousiasme assez extraordinaire. 22 500 candidats en Europe pour cinq personnes recrutées, c’est énorme ! J’ai ensuite été très heureuse qu’il y ait une nouvelle représentation française. Aujourd’hui, nous connaissons tous Thomas Pesquet comme astronaute français actif et c’est formidable qu’une nouvelle astronaute française le rejoigne au sein de l’agence spatiale européenne.

Sophie a un parcours tout à fait exceptionnel, très inspirant. Elle est extraordinaire, professionnellement comme humainement. Je pense qu’elle volera assez vite et je suis sûre qu’elle sera un très bel exemple pour la jeunesse. Elle a cet enthousiasme qui est l’incarnation d’un esprit d’exploration, d’audace, de dépassement. Moi-même, je l’ai été mais je commence à être de la génération de la mère ou de la grand-mère des jeunes filles d'aujourd'hui. Sophie arrive au bon moment. Entre Thomas et Sophie, ça fait vraiment une belle équipe !

Avoir été en orbite a-t-il changé votre perception de l’avenir de la planète ?

Tous les astronautes qui ont eu la chance d’avoir été en orbite reviennent en étant des « ambassadeurs » avec l’envie de transmettre, de partager. Des ambassadeurs de l’Europe, évidemment, pour ceux de l'agence spatiale européenne. Mais aussi des ambassadeurs de cette planète magnifique qu’ils ont observée par le hublot. Quand on est au sol, on peut être émerveillé par les beaux paysages mais n’a pas vraiment conscience des limites, de la finitude. On a l’impression que l’horizon est infini, qu'on peut puiser sans fin dans la beauté de la planète. Lorsqu’on est à 400 kilomètres en orbite basse, on se rend bien compte que notre planète est isolée dans un cosmos noir et sans source de vie. De là-haut, on a cette perception d’un endroit privilégié : avec sa lumière, sa vie, ses nuages, ses mers, ses océans et ses déserts, isolés dans quelque chose d’immense, sombre, mystérieux, hostile.

On voit aussi très bien la très mince couche d’atmosphère, cette toute petite enveloppe qui permet d’accueillir et préserver la vie. On perçoit donc la fragilité de notre planète et en même temps que la beauté de la Terre, on ressent sa vulnérabilité face aux forces de la nature (cyclones, éruptions volcaniques…) et aux dégradations provoquées par certaines activités humaines.

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Claudie Haigneré
Astronaute

On perçoit donc la fragilité de notre planète et en même temps que la beauté de la Terre, on ressent sa vulnérabilité face aux forces de la nature (cyclones, éruptions volcaniques…) et aux dégradations provoquées par certaines activités humaines.

Vous avez dit un jour que « la terre est le vaisseau de l’humanité »…

L’humanité et toute forme de vie, plus largement, sont concentrées sur cette planète. La Terre est donc le seul vaisseau de l'humanité, qui voyage et nous transporte dans le système solaire. Les astronautes, qui ont un vaisseau spatial et qui prennent en charge sa maintenance et sa réparation, ressentent cette notion de responsabilité collective en tant qu’équipage, pour que le voyage se poursuive de façon durable. Ils la ressentent aussi plus globalement en tant qu’êtres humains dépendants les uns des autres et totalement reliés à la planète Terre. Nous devrions tous être responsables, individuellement et collectivement, du bon état et bon fonctionnement de la Terre, notre vaisseau : c’est l’avenir de l’humanité qui est en question. Je pense qu’il est important d’avoir une perception et une émotion qui traduisent à la fois la beauté et le danger. C’est ce regard qui peut davantage impacter les citoyens, pas toujours sensibles à l’évaluation quantitative apportée par les données des rapports scientifiques du GIEC, ni aux seuls arguments de la rationalité et de la logique pour s’engager dans l’action.

Entre vos deux missions spatiales, avez-vous observé des changements sur la Terre ?

Je me souviens qu’entre mes deux vols, en 1996 et en 2001, la mer d’Aral, asséchée pour les cultures de coton, s’est rabougrie. Thomas Pesquet a également très bien décrit la fréquence et l’intensité accrue des cyclones ou des incendies. Tout cela témoigne d’une transformation accélérée de notre environnement climatique, et du danger auquel est exposé notre planète.

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Claudie Haigneré
Astronaute

Tout cela témoigne d’une transformation accélérée de notre environnement climatique, et du danger auquel est exposé notre planète.

Êtes-vous inquiète pour l’avenir ?

Grâce à la science, à la recherche, et à l’ingénierie, nous allons trouver des solutions nouvelles qui permettront d'anticiper, de corriger et de s’adapter. Aujourd’hui, nous disposons de modélisations numériques. Par exemple, l'agence spatiale européenne a un programme de travail pour reproduire un « jumeau numérique » de la Terre qui nous permettrait de simuler des scénarios. Le problème est que la situation se dégrade rapidement.

Il peut y avoir une décorrélation entre le temps que va mettre la science à proposer des solutions et l'accélération des phénomènes de transformation. On ne peut pas uniquement se reposer sur ce que l’avenir de la recherche va nous proposer, et par ailleurs, toute innovation n’est pas systématiquement la solution. Nous devons analyser tous les impacts dans leur interaction et leur complexité, en responsabilité. Il faut également avoir des actions de réparation dans le court terme.

Autrement dit : je crois en la science mais je ne suis pas complètement optimiste. Nous n'avons pas agi suffisamment dans les années passées. C’est d’ailleurs ce que la jeune génération nous dit : il faut être plus déterminé à agir et concrètement passer à l’acte !

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Claudie Haigneré
Astronaute

Grâce à la science, à la recherche, et à l’ingénierie, nous allons trouver des solutions nouvelles qui permettront d'anticiper, de corriger et de s’adapter.

Que faudrait-il pour que les scientifiques soient plus écoutés sur la lutte contre le réchauffement climatique ?

Je pense que l’éducation « climatique » doit se faire très tôt, dès l'école. Il faut apprendre les bases établies, il faut maîtriser quelques outils indispensables (dont les indispensables notions mathématiques). Puis il faut par soi-même, explorer, être curieux, avoir un esprit critique, faire travailler la machinerie du doute et du questionnement. J'essaie de travailler sur le thème de l'éducation au XXIe siècle et je renverse la question qu'on nous pose assez généralement.

La question n’est pas tant de savoir : « quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ? » mais : « quels enfants allons-nous laisser à la planète ? ». Il faut aussi changer la manière de présenter la science et la recherche. Il faut de l’émotion, de l’étonnement et du désir. Il faut redonner du sens dans un contexte inquiétant, et imaginer un futur où cette éducation offre le pouvoir d’agir. J’ajoute qu’il faudrait davantage de journalistes bien formés à la science, de chercheurs et ingénieurs engagés dans ce partage avec un large public, et de responsables politiques sensibilisés à ces enjeux. Nous avons un déficit de culture scientifique et technique qui nous rend vulnérables aux fausses informations, et je confirme avec force que : OUI, la terre est bien ronde !! (Sphérique même).

D’autres parts, la décision politique demeure « coincée » dans le court terme, car elle exige des réponses immédiates (et donc souvent partielles et insatisfaisantes) à des problèmes multiples, intriqués et majeurs. Mais elle doit s’inscrire aussi dans une vision à long terme, celle que promeut la recherche responsable, consciente de la complexité et des incertitudes, mais intégrant la notion de risque à faire advenir le mieux. Ce doit être là encore un travail d’équipage en intelligence collective.

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Claudie Haigneré
Astronaute

La question n’est pas tant de savoir : « quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ? » mais : « quels enfants allons-nous laisser à la planète ? ».

Claudie Haigneré en quelques dates

  • 1957 : Naissance au Creusot
  • 1985 : Sélectionnée par le CNES comme Candidate astronaute (Médecin rhumatologue, chercheur en Neurosciences)
  • De 1990 à 1992 : Elle devient responsable des programmes de physiologie et de médecine spatiale à la Division sciences de la vie du CNES à Paris
  • 1996 : Elle débute un vol de 16 jours à bord de la station orbitale russe MIR dans le cadre de la mission franco-russe CASSIOPEE. A ce titre, elle sera la première femme française à voyager dans l’espace. 1999 : Elle intègre l'Agence spatiale européenne (ESA) et rejoint le Corps européen des astronautes à Cologne en Allemagne
  • 2001 : Elle réalise une seconde mission spatiale Andromède à bord de la Station spatiale Internationale ISS
  • 2002 : Entrée au gouvernement au poste de ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles technologies, puis ministre déléguée aux affaires européennes
  • 2009 : Elle est nommée Présidente de la Cité des Sciences et de l'industrie (CSI) et du Palais de la découverte : Etablissement public devenu Universcience
  • 2015 : Elle revient à l’ESA, conseillère sur les sujets d’exploration spatiale habitée : en orbite basse et pour la destination Lune
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