Dans quel sens évoluent les habitudes de consommation d’énergie aujourd’hui ?
Thomas Veyrenc : Structurellement, la tendance est à la stagnation de la consommation électrique depuis environ 2010. Les croissances économique et démographique - qui en sont les principaux déterminants - ont ralenti. Dans le même temps, l’activité économique tend à se tertiariser, notamment en France. Enfin, il y a une diffusion, trop modeste, des actions d'efficacité énergétique. Les nouveaux équipements sont moins consommateurs qu’il y a 10 ans et cette efficacité compense la tendance au suréquipement. Nos modélisations prévoient un retour progressif vers le niveau d’avant crise, puis une augmentation modérée à l’horizon 2030. À partir de là, nous devrions assister à un paradoxe : une baisse générale de la consommation d’énergie couplée à une hausse de la consommation d'électricité. Cela s’explique par l’importance de l'électricité dans les politiques de neutralité carbone. C’est notamment le cas pour les transports avec l’essor des véhicules électriques. La conjoncture liée à la crise sanitaire ne remet pas vraiment en cause ces prévisions. Malgré une baisse de la consommation électrique de 3,4 % en 2020, un rebond de la consommation est attendu dès 2021 pour retrouver le niveau d’avant crise au milieu de la décennie.
Solange Martin : Cette stabilité des consommations cache des pratiques complexes au sein de la population. En 2007, 68 % des Français disaient éteindre les appareils “en veille”, contre 55% aujourd’hui. À l’inverse, le fait de baisser la température de 2 ou 3 degrés en hiver a fortement progressé. Même si 9 Français sur 10 disent faire des efforts et des petits gestes, le paysage reste très contrasté. Sur la moitié des Français qui déclarent essayer de consommer moins, il est difficile de distinguer si c’est un choix volontaire ou quelque chose de subi. La baisse de consommation choisie est plutôt le fait de CSP+, diplômés et relativement jeunes. Et même chez ces derniers, il y a des différences nettes en fonction des types de produits. Les plus jeunes vont par exemple être de gros consommateurs de matériel informatique et de voyages en avion.
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Quels sont les principaux leviers pour faire évoluer ces habitudes vers plus de sobriété ?
Thomas Veyrenc : Au-delà de la sobriété, qui décrit une démarche globale visant à réduire nos besoins énergétiques en modifiant nos modes de vie, je distingue trois leviers principaux. Le premier concerne l'efficacité énergétique. Il s’agit de réduire la consommation en général, à usages inchangés. Remplacer une chaudière par une pompe à chaleur rentre dans cette logique. Ensuite, je pense au pilotage spécifique de certaines consommations quotidiennes à l’instar des mécanismes mis en place pour l’eau chaude sanitaire. Cela correspond donc à une réduction ciblée ou un report des consommations en fonction des pics de demande, qui sont plus importants le matin et le soir ou encore pendant les vagues de froid. Enfin, il y a les éco-gestes, auxquels on fait appel pour favoriser ponctuellement la maîtrise de la consommation, dans les périodes plus tendues. C’est le sens du dispositif ÉcoWatt mis en place par RTE, en partenariat avec l’ADEME : grâce à un site dédié et un système d’alertes, nous sommes en mesure de mieux informer les citoyens en cas de tension sur le réseau, tout en leur proposant les éco-gestes les plus efficaces pour régler la situation.
Solange Martin : J’ajouterai quatre grands leviers à ce qui vient d’être présenté. Je pense d’abord à ce qui relève de l’information et de la communication. C’est un champ très vaste qui joue sur de nombreux ressorts. L'efficacité de l’information dépend d’abord de son degré d’adaptation au contexte. Une bonne information joue également sur les normes sociales, en mettant en avant ce qui a marché ailleurs par exemple. Elle peut s’appuyer sur des outils de gamification, à l’image du défi “famille à énergie positive”, qui joue sur un esprit de compétition bon enfant. Le second levier est celui de la réglementation et de l’interdiction. C’est assez radical et efficace. La réglementation énergétique sur les bâtiments neufs permet ainsi d’éviter la construction de passoires énergétiques. Viennent ensuite les incitations économiques. Pour les budgets contraints, des mesures comme les subventions à la rénovation sont très puissantes. Enfin, le dernier levier est l’aménagement technologique. Les aides techniques, comme les mousseurs, les thermostats ou les outils de programmation automatique, viennent faciliter les comportements vertueux au quotidien.
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Sur quels outils technologiques peut-on s’appuyer aujourd’hui pour donner aux citoyens les moyens de réduire leurs consommations ?
Thomas Veyrenc : C’est un ensemble. La première interface entre le système et le consommateur est le compteur. Le déploiement des compteurs communicants Linky est bientôt achevé. Cette brique permet aux particuliers de mieux savoir ce qu’ils consomment. Mais ce n’est pas suffisant, car seuls les consommateurs « hyper-conscients » surveillent leur compteur. Pour la majorité, nous avons besoin d’automatisation. De l’optimisation traditionnelle des horaires de chauffage de l’eau chaude sanitaire à la recharge intelligente des véhicules électriques, c’est un mélange de dispositifs assez classiques et de technologies plus récentes.
Mais on constate que le sujet de la « flexibilité » ou du « consomm’acteur » devient de plus en plus politique. En effet, si l’on opte pour un système électrique reposant très majoritairement sur les renouvelables comme l’éolien ou le solaire, le besoin de rendre la consommation plus flexible sera important. Cela impliquerait probablement des technologies connectées, comme l’internet des objets. On peut ressentir des tensions entre la volonté de certains de s’orienter vers ce type de scénarios et une forme de méfiance envers les systèmes connectées, avec des inquiétudes sur la question de traitement des données qui nous sont systématiquement remontées lorsque l’on travaille sur ce type de scénarios avec des associations de consommateurs.