Yves Coppens : « La réponse rapide à la pandémie est à la gloire de l’humanité »

Transition énergétique
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Le paléontologue Yves Coppens, découvreur de la célèbre australopithèque Lucy, nous livre quelques réflexions sur la période que nous venons de vivre, mais aussi sur celle que nous venons d’ouvrir : l’ère de la transition énergétique.
Paragraphes
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Portrait Yves Coppens - Crédit Philippe Quaisse
Yves Coppens, Paléontologue


Lucy et ses congénères ont-ils pu être exposés à des virus comme nous pouvons l’être aujourd’hui ?


Yves Coppens : L’existence des virus a commencé il y a 4 milliards d’années ! On les appelle « acaryotes », car ce sont des êtres dépourvus de noyau. Dès leur apparition, ces virus sont des parasites : ils ont besoin d’hôtes pour vivre. Il est donc certain qu’il y a eu des virus à l’époque de Lucy et que certains des siens ont pu en souffrir. Il y a beaucoup de virus aujourd’hui liés à l’homme, parce qu’il voyage et que les virus qu’il porte voyagent avec lui. Mais également parce qu’en se développant, l’humanité a déboisé, déforesté, et a ainsi débusqué des virus qui étaient jusque-là cantonnés à des milieux isolés et qui ne demandaient pas à en sortir.
Ces virus ont pu alors passer d’un hôte à l’autre et arriver plus facilement à l’homme.

 

Diriez-vous que croire qu’on va bloquer un virus, c’est méconnaître fondamentalement la vie ?
 

Yves Coppens : Nous pouvons bloquer les virus de manière habile, en faisant ce que l’on a fait, les confinements que nous venons de connaître. Un virus, c’est avant toute chose un petit être qui vit, comme les autres, avec l’obsession de survivre. Les virus mutent comme nous l’avons fait et ne cessons de le faire nous-mêmes. Mais ces organismes, à la vie plus courte, mutent plus vite. Et comme pour survivre, les virus doivent de mieux en mieux s’adapter, ils vont plus volontiers retenir, par sélection naturelle, les mutations qui leur sont le plus favorable, celles qui leur permettent par exemple de se transmettre plus vite. Ainsi, les « variants » qui réussissent sont ceux qui sont les plus contagieux. Ce sont donc ceux, à terme, qui vont prévaloir et remplacer les précédents. Tenter de bloquer les « variants » sans bloquer les « hôtes », c’est en effet méconnaître le « principe de la vie ».

 

La période que nous vivons semble incertaine avec une pandémie qui tantôt recule, notamment grâce à la découverte rapide des vaccins, tantôt progresse avec les nouveaux variants. L’homme a donc favorisé l’essor des virus avant de s’ingénier à l’éradiquer ?

 

Yves Coppens : L’homme est fascinant par sa faculté à trouver des solutions à ses malheurs. Face au coronavirus, il n’a pas seulement réussi à fabriquer un mais plusieurs types de vaccins - y compris le vaccin ARN qui était dans les cartons depuis longtemps et n’avait jamais été développé ! J’espère que ces vaccins auront un spectre suffisamment large pour agir sur toutes les mutations qui apparaissent.
Mais ce qui est sûr, c’est que cette réponse rapide à la situation pandémique est à la gloire de l’humanité…

 

La période est également dominée par l’impératif du changement climatique ; qu’apprend l’étude du climat à un paléontologue comme vous ?
 

Yves Coppens : L’étude du climat, c’est l’étude de toute l’histoire de la Terre. Depuis ses origines, il y a plus de quatre milliards et demi d’années, les climats n’ont cessé de changer - à tel point que la Terre a été parfois une boule de glace et parfois une boule de feu. La danse des changements climatiques est permanente.
Ces changements sont dus à la position de la Terre sur son axe de rotation, qui l’expose de manière différente au Soleil. Il n’est donc pas exclu qu’il puisse y avoir un jour « des orangers sur le sol irlandais » !
Nous sommes actuellement dans une période interglaciaire et devrions rentrer dans une période de glaciation : depuis trois millions d’années, tous les 100 000 ans, il y a à peu près 70 000 ans de froid et 30 000 ans de tempéré. Mais, pour la première fois, le développement humain a un impact sur ces changements climatiques. Nous avons mis en effet trois millions d’années pour passer de quelques milliers d’individus à un milliard et, en 200 ans, on est passé d’un milliard à bientôt huit ! Évidemment, cela engendre quelques bousculades !

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Portrait Yves Coppens - Crédit Philippe Quaisse
Yves Coppens
Paleontologue

L’homme est fascinant par sa faculté à trouver des solutions à ses malheurs

Sait-on sur combien de temps se passait ces grands bouleversements climatiques, et connait-on le nombre d’espèces qui n’y ont pas échappé ?
 

Yves Coppens : Oui, il y a eu de grandes extinctions au moins à cinq reprises. A l’époque de la disparition des dinosaures, il y aurait eu une extinction d’environ 50 % des espèces, mais il y a 250 millions d’années, ce furent 95 % des espèces marines et 70 % des espèces terrestres qui disparurent. La biodiversité s’était écroulée. Mais la vie a une puissance extraordinaire et elle est réapparue en se diversifiant, en « inventant » de nouveaux rameaux. Et si ce phénomène n’est pas une affaire courante, il est arrivé tout de même à quelques reprises de façon incontestable et quantifiée.
Actuellement, nous vivons une crise climatique qui se caractérise notamment par la montée du niveau des mers et la fonte du Groenland. Même si on fait des miracles en matière de réduction des émissions de CO2, je pense que l’inertie de la Terre est telle que le Groenland va fondre : 3 000 mètres de glace vont disparaître et cela créera une montée de l’eau de 6 à 7 mètres. Au-delà de la disparition des espèces, cette situation va entraîner un déplacement humain considérable, des réfugiés climatiques… On en parle déjà, mais pas assez selon moi. L’Homme ne prévoit guère.
 

 

Tout ça n’est pas franchement rassurant ! Pourtant, vous ne semblez pas pessimiste pour autant…
 

Yves Coppens : Sérénité de géologue peut-être ? Il y a quelques années, j’avais envoyé une lettre aux gens qui s’occupaient de creuser le tunnel sous la Manche en leur indiquant que ce n’était pas la peine de se donner tant de mal : on passerait la Manche à pied sec dans peu de temps ! Blague à part, il est incontestable que l’augmentation du CO2 liée à l’activité humaine est en train de « détraquer » le climat. Mais je pense que si on donnait plus de moyens à la recherche, qui a toujours été brillante, nous pourrions trouver d’autres solutions que celle de réduire nos gaz à effet de serre, sans y parvenir ! J’ai appris que le petit véhicule qu’on a envoyé sur Mars cette année (Mars Exploration River, NDLR) a réussi à capter du CO2 de l’atmosphère de la planète rouge, à casser cette molécule qui nous embête tant sur la Terre et à récupérer son oxygène. Peut-être pourrions-nous trouver des moyens à grande échelle pour faire la même chose ici. On devrait mettre le paquet là-dessus ! L’humanité est suffisamment géniale pour trouver d’autres solutions que celle de ne plus circuler dans Paris… (Rire)
J’exagère ! Ce que je peux dire en tout cas, c’est que nous avons du coup mieux pris conscience des limites de la Terre, et que c’est un premier pas vers une réflexion en toute connaissance de cause.
 


Justement, la chronique de la mort annoncée des hydrocarbures et leur remplacement par des sources plus vertueuses comme l’électricité décarbonée n’est-elle pas une solution ?
 

Yves Coppens : Oui, pourquoi pas. L’arrêt de la consommation du charbon et du pétrole doit être compensé, évidemment, par l’essor d’autres d’énergies. Si l’on donnait des moyens supérieurs à la recherche, je pense que la science pourrait peut-être trouver des solutions au problème des déchets nucléaires, par exemple.

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Portrait Yves Coppens - Crédit Philippe Quaisse
Yves Coppens
Paleontologue

Je pense que l’humanité est magique, intelligente, et qu’elle ne va pas se laisser avoir, même si elle réagit souvent au dernier moment.

Pensez-vous que, dans 10 000 ans, les hommes seront toujours sur terre ?
 

Yves Coppens : J’en ai grand espoir ! Je pense que l’humanité est magique, intelligente, et qu’elle ne va pas se laisser avoir, même si elle réagit souvent au dernier moment. Avec nos milliards de cerveaux, on a d’autant plus de    « forces vives » pour réfléchir, résoudre et agir. Et puis l’humanité va aussi aller s’installer sur d’autres planètes et décharger un petit peu la Terre. Cela m’intéresse d’ailleurs beaucoup parce que la séparation, par exemple, entre « terriens » et « martiens » entrainera une dérive génétique. Les descendants des deux populations ne seront plus les mêmes ; quand on retournera voir nos cousins martiens, on sera surpris de voir « la tête » qu’ils auront acquise et, du coup, « la tête » qu’ils feront en revoyant la nôtre !


Pour finir, que souhaiteriez-vous dire à la jeune génération ?
 

Yves Coppens : Je leur dirais d’avoir confiance en l’avenir, qu’il sera aussi beau que l’a été le nôtre, c’est à dire leur passé ! Je leur dirais de ne pas avoir peur de la science. Il y a quelques années, le New York Times m’avait demandé un texte sur l’avenir. J’ai appelé ça le « syndrome de ma belle-mère », tout simplement parce que ma belle-maman commence toutes ses phrases par « avant » (et forcément « avant c’était merveilleux, alors qu’aujourd’hui ce n’est pas brillant et que demain ce sera épouvantable ! »). On peut appliquer cette histoire à toutes les époques… Lisez les textes d’auteurs « âgés », vous verrez leurs opinions sur leur époque et sur l’avenir. Cela fait trois millions d’années que nous sommes libres. Trois millions d’années que nous avons la responsabilité de notre liberté : cela nous donne droit au bonheur et à l’espoir. Et pour vous amuser, le New York Times a finalement retenu mon papier, mais ils ont changé le terme « belle-mère » en « grand-mère », c’était sans doute plus politiquement correct !

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