À marche forcée
Le chaos laissé par le passage des deux tempêtes fait de la remise en service des lignes et postes électriques endommagés une priorité absolue… Les difficultés sont inédites : ce n’est pas une seule région qui est touchée, mais pratiquement tout le territoire national, se souvient Jean-Paul Roubin, ingénieur d’astreinte au CNES Centre national d'exploitation du système , qui exerce alors un rôle d’appui et d’intervention auprès du dispatching.
« Avec la deuxième tempête, on va se retrouver avec des bouts de réseau séparés, des sortes d’îles électriques
: Bordeaux alimenté par la centrale du Blayais, Toulouse par la centrale de Golfech. Ce sont des
événements extrêmement rares. Ces réseaux sont alimentés par leurs propres moyens. Il faudra ensuite rapprocher
la fréquence de ces réseaux de la fréquence du réseau français pour pouvoir les recoupler. Ce fonctionnement
îloté durera quelques minutes : après une séparation vers 20h50, on recouple Bordeaux à 21h23, Toulouse
à 21h30. »
—
Jean-Paul Roubin
Quand les lignes cèdent, l’une après l’autre, sous la violence des vents, les équipes chargées de leur surveillance ne connaissent pas la réalité du terrain. La seule chose qu’elles constatent est la chute progressive du réseau sur leurs synoptiques. Pour évaluer les dommages et les réparations à entreprendre, il faut se rendre sur place. Lignards, experts du CNER Centre national d’expertise réseaux , entreprises sous-traitantes… toutes les ressources disponibles au sein de RTE et chez les fournisseurs sont dépêchées pour évaluer la situation. Didier Anselme, chargé de maintenance des lignes aériennes, est aux avant-postes avec une équipe de reconnaissance.
« Très vite, on trouve des pistes inaccessibles avec des arbres couchés. Il y a aussi des arbres sur les
lignes. Les premiers travaux consistent à découper les arbres suspendus aux câbles et ainsi à libérer les lignes.
On met en place des poteaux en guise de bras avec des rondins ! »
—
Didier Anselme
Tous les hélicoptères disponibles chez RTE sont mobilisés, mais il en manque encore… Il faut transporter les équipes dédiées aux postes et aux lignes, partout où les tempêtes ont frappé, organiser la logistique nécessaire à l’acheminement du matériel et à l’hébergement… L’équipe de Christian Dauvilliers, alors chargé du retour d’expérience sur le comportement des matériels de liaisons et de l’animation technique liaisons, a dû gérer d’innombrables demandes d’approvisionnement.
« Nous devions filtrer toutes les demandes d’approvisionnement en composants pour les lignes aériennes des
régions arrivant au service gestion de la direction achats, demander des précisions aux régions en cas de requêtes
incomplètes, erronées ou « exagérées », le tout avec priorisation des demandes en fonction des ouvrages,
car nos stocks et les magasins fournisseurs n’étaient pas gréés en supports, câbles et même matériels pour
une situation aussi exceptionnelle. C’était du flux… très tendu ! Il y avait en tout et pour tout 11 pylônes
en réserve chez les fournisseurs et un peu de stock de matériels dans les groupes en charge de la maintenance.
Il a fallu trouver des solutions pour réparer. »
—
Christian Dauvilliers
D’abord, on priorise. Les équipes de dépannage arbitrent entre les lignes indispensables au réseau et celles qui
sont rapidement réparables, les lignes potentiellement réparables si besoin et celles à ne pas prendre en compte
dans un premiers temps. Il faut aussi mettre en sécurité les câbles tombés sur les autoroutes, tirer des liaisons
provisoires grâce à des mâts ou liaisons enterrées…
Dans l’urgence, la solidarité s’organise : les entreprises et les gestionnaires de réseaux de transport
d’électricité (espagnols, italiens, néerlandais…) viennent prêter main forte. À Toulouse, Bordeaux ou Reims,
l’ampleur des dégâts subis par le réseau électrique a créé de véritables poches, privées de courant. RTE part
à la chasse aux groupes électrogènes, acheminés parfois d’assez loin. L’armée déblaie les accès et les sécurise,
déploie des ponts flottants pour accéder aux zones inondées… Des démolisseurs et des ferrailleurs sont appelés
en renfort pour évacuer les déblais.
La mobilisation générale paie : le 30 décembre, il ne reste que de rares poches encore privées d’électricité.
Les opérations de dépannage d’urgence se terminent. Les réparations définitives peuvent commencer. Jusqu’à fin
janvier 2000, le CNER est mobilisé 24h00 sur 24h00 pour répondre aux sollicitations des équipes sur le terrain,
notamment en aidant les ingénieries des régions dans les choix techniques liés aux réparations. On décide ainsi
de remplacer les pylônes tombés à terre par des pylônes de classe mécanique supérieure, dès lors que les embases
sont récupérables.
Le bilan humain est lourd,
les dégâts énormes…
110 victimes et 6 Md€99 de dégâts pour Lothar dans les régions traversées en France, Belgique, Allemagne et Suisse ; 30 victimes et 4 Md€99 de dégâts pour Martin en France, Espagne et Italie.
Avec 140 millions de m3 de bois abattus, les forêts françaises paient un lourd tribut aux deux tempêtes.