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Comment décarboner l’industrie française ?

Décarbonation
Mis à jour le 19/11/2024
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La France, comme l’ensemble de l’Europe, vise la neutralité carbone en 2050, pour lutter contre le réchauffement climatique. Pour le secteur industriel, c’est un défi de taille. L’industrie française va en effet devoir apprendre à se passer des énergies fossiles et à utiliser davantage l’électricité. Une transition dans laquelle RTE jouera un rôle clé.
Paragraphes

Une décarbonation qui passe par l’électricité

Après les transports, l’agriculture et le bâtiment, l’industrie est l’un des secteurs les plus émetteurs dans notre pays.

La stratégie nationale « bas carbone » prévoit une diminution de ses émissions de gaz à effet de serre de 35 % à horizon 2030 et de… 81 % à horizon 2050 par rapport à 2015.

Pour atteindre de tels objectifs, l’industrie française va devoir apprendre à se passer des énergies fossiles comme le gaz naturel, le charbon ou le pétrole.

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Infographie SNBC - Réduire de 81 % les émissions de gaz à effet de serre pour l’industrie

L’électrification des procédés industriels reste « le meilleur moyen d’atteindre les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) qui vise la neutralité carbone en 2050 », assure l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

C’est, par exemple, le choix fait par ArcelorMittal sur ses sites français de Dunkerque et de Fos-sur-Mer. Premier émetteur de gaz à effet de serre en France, avec 12 des 78 millions de tonnes d’équivalent CO2 émises chaque année dans notre pays, l’entreprise a lancé un vaste projet de décarbonation progressive de son activité en Europe. À Dunkerque, dans une première phase, il s’agit de réduire les émissions de 36 % en remplaçant des hauts-fourneaux par des fours électriques, nécessitant jusqu’à 750 MW de puissance, soit la moitié d’un réacteur nucléaire de dernière génération.

À moyen terme, de l’hydrogène décarboné pourrait être utilisé à la fois pour traiter le minerai de fer en amont et pour valoriser le CO2 résiduel émis à l’aval. Sachant que c’est par l’électrolyse de l’eau que l’on produit de l’hydrogène décarboné, cela va nécessiter encore plus d’électricité…

Une forte demande de la part des industriels, en prévision d’un changement des règles du jeu en Europe

La sidérurgie n’est pas le seul secteur à avoir engagé ce processus de décarbonation. D’autres acteurs industriels se sont lancés dans des projets ambitieux faisant appel à l’hydrogène comme les raffineries de Total à la Mède (Bouches-du-Rhône) et Gonfreville (Seine-Maritime), le site chimique de Domo Chemicals à Saint-Fons (Rhône) ou la cimenterie Vicat de Montalieu-Vercieu (Isère). Résultat : depuis début 2022, RTE reçoit un nombre considérable de demandes de raccordements industriels : plus de 15 GW de demandes ont été contractualisés. Plus de la moitié se concentre sur les zones de Dunkerque, de Fos-sur-Mer et du Havre.

Tous ces projets témoignent d’une évolution manifeste des mentalités. Dans certains secteurs comme la cosmétique par exemple, les fabricants sont déjà prêts à payer plus cher pour des matières premières sans CO2. Mais elle s’explique aussi par un changement prochain des règles du jeu en Europe. Pour accélérer la décarbonation, l’Union européenne manie la carotte et le bâton.

Le bâton, c’est la suppression progressive des « quotas gratuits d’émission de CO2 ». Jusqu’à présent, pour ne pas encourager les industriels du Vieux-Continent à délocaliser leur production dans des pays moins regardants, les émissions de gaz à effet de serre étaient autorisées jusqu’à un certain niveau, fondé sur une référence historique. Cette tolérance ne sera bientôt plus de mise : à partir de 2026, Bruxelles va en effet taxer le carbone contenu dans les produits importés mais aussi – afin de ne pas fausser la concurrence - celui produit par les entreprises présentes sur le territoire de l’Union. Les industriels ont donc intérêt à réduire au plus vite leurs émissions de CO2. La « carotte » prend surtout la forme des multiples subventions publiques annoncées dans le « Green Deal » et destinées à aider les entreprises à réaliser leur transition énergétique. Une grande partie de ces aides est destinée à développer la filière hydrogène en particulier. Tout cela explique en partie les multiples projets qui arrivent sur les bureaux de RTE.

Une mobilisation sans précédent en faveur du raccordement

Raccorder de nouveaux utilisateurs, sur la base d’un devis et d’un calendrier donné, fait partie des missions de RTE depuis sa création. L’organisation est en place, mais elle a surtout concerné la production : les nouvelles centrales à gaz dans les années 2000, puis les grands parcs renouvelables terrestres et offshore. S’agissant des industriels, les projets étaient plus rares, jusqu’à récemment.

« C’est un rythme inédit, du jamais vu depuis les 30 glorieuses ! RTE alimente déjà 500 grands sites industriels, et depuis 2 ans, nous avons reçu plusieurs centaines de demandes. Notre enjeu est d’accompagner au mieux tous ces besoins électriques. » souligne Jean-Philippe Bonnet.

RTE développe ses ressources d’ingénierie en interne comme en externe pour accompagner cette dynamique. Chaque projet de raccordement se voit affecter une « équipe projet », en charge des procédures administratives, des études techniques, des achats et du suivi de chantier, jusqu’à la mise en service. En parallèle, une démarche de sécurisation des approvisionnements de matériel est en cours, afin d’anticiper l’augmentation des délais de fourniture liés à une forte demande européenne et mondiale.

Une nécessaire planification écologique

Pour planifier la transition écologique des grandes filières, des sites ainsi que des technologies industrielles, les pouvoirs publics ont émis des « feuilles de route » de décarbonation en 2023 avec des objectifs clairs et chiffrés par filière, par site et par technologie. Celles-ci rassemblent les actions mises en œuvre pour atteindre les objectifs de baisse des émissions de CO₂ fixés par la stratégie nationale bas-carbone.

Partout, les projets affluent, mais y aura-t-il assez de terrains ? De subventions publiques ? D’infrastructures énergétiques ? « Dans les grandes zones industrielles, reprend Jean-Philippe Bonnet, la consommation d’électricité pourrait être multipliée par 2, voire par 3 ou 4 si on ajoute les besoins de production d’hydrogène. Cela va nécessiter de nouvelles lignes électriques, mais aussi des solutions de transport et de stockage de l’hydrogène. Tout ceci doit être coordonné dans l’espace et le temps. »

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Vignette Parc éolien Saint Nazaire
Parc éolien de Saint-Nazaire

Pour Jean-Philippe Bonnet, « l’enjeu des infrastructures constitue un excellent sujet pour cette planification écologique ». En effet, les demandes sont largement concentrées dans quelques grandes zones industrielles bien identifiées : les grands ports français de Dunkerque, le Havre, Saint-Nazaire ou Fos-sur-Mer, la Lorraine ou les régions de Lyon et Mulhouse…

La loi permet désormais à RTE d’engager la réalisation d’infrastructures mutualisées, qui permettent de rationaliser le raccordement de chaque projet industriel et d’en réduire le coût individuel. En outre, ces infrastructures sont dimensionnées dans une optique de moyen-long terme, afin de pouvoir accueillir de nouveaux prospects. Dans une dizaine de grandes zones, de telles démarches ont été engagées : elles permettent de donner de la visibilité aux acteurs industriels tant sur le coût du raccordement que sur le délai. Ce sont près de 2,5 milliards  d'euros (2,5 Md€) d’investissements qui sont ainsi programmés, afin d’ajouter 15 GW de capacité d’accueil sur ces différentes zones.

Même s’ils ne représentent qu’une part modeste du programme d’investissement de RTE pour la prochaine décennie, ces projets constituent l’une des priorités de ce programme.

Penser le long terme

Les projets qui sont lancés aujourd’hui mettront plusieurs années à se réaliser et à monter en puissance. D’ici là, ils peuvent aussi constituer une opportunité pour repenser notre marché de l’électricité, sur la base de partenariats de long terme entre industriels et producteurs d’électricité, favorisant l’accélération des investissements dans la production d’électricité décarbonée.

Cette perspective de la hausse de la consommation industrielle avait bien été appréhendée par l’étude de RTE sur les « Futurs énergétiques 2050 », et les scénarios proposés par RTE permettent d’y répondre. Comme le résume Jean-Philippe Bonnet : « De nombreux obstacles restent à franchir pour décarboner l’industrie française, mais c’est une formidable aventure dans laquelle RTE à un grand rôle à jouer ! »

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Jean-Philippe Bonnet
Jean-Philippe Bonnet
Directeur adjoint du pôle stratégie, prospective et évaluation

Décarboner l’industrie est une mutation profonde qui fera notamment appel à deux vecteurs énergétiques : l’électricité et l’hydrogène. Concrètement, il y a un usage direct de l’électricité et un usage indirect, via l’hydrogène. Cela va conférer un rôle majeur à RTE pour acheminer toute cette électricité.

3 questions à...

Jean-Philippe Bonnet, directeur adjoint du pôle stratégie, prospective et évaluation

  • Comment RTE fait-il face à la vague de demandes de raccordement qui affluent depuis plusieurs mois ?

Cet afflux massif, concentré dans certaines zones, nous a obligé à repenser le processus. Plutôt que de répondre au coup par coup, nous concevons désormais le réseau globalement à l’échelle d’une zone industrielle et cherchons à mutualiser les nouvelles lignes à créer, quitte à prendre de l’avance sur les demandes. Cela a demandé un gros travail aux équipes en 2022, mais nous sommes mieux armés pour proposer des éléments robustes de planification à l’État et aux industriels concernés. Premier exemple concret : à Dunkerque, malgré des besoins supplémentaires évalués à 3,5 GW d’ici 2030, soit un triplement de la consommation électrique du territoire, RTE augmente fortement la desserte électrique de la zone tout en la rationalisant, afin de maintenir le même nombre de pylônes qu’actuellement.

  • Il faut plusieurs années pour réaliser une ligne électrique : pensez-vous que RTE sera à l’heure pour répondre aux besoins des industriels ?

J-P.B : C’est un risque, car la modification des installations industrielles existantes peut aller assez vite. Actuellement, ce sont les délais d’obtention de nos autorisations administratives qui sont les plus contraignants. Des simplifications ont pu être mises en place, tenant compte à la fois de l’urgence climatique et du fait que nous intervenons dans des zones industrielles déjà très marquées par l’empreinte humaine. C’est une « course contre la montre » qui est engagée par nos équipes pour être au rendez-vous de la décarbonation.

  • Ces projets viennent s’ajouter à un programme de travail déjà imposant, avec les besoins de renouvellement de votre réseau, de raccordement des éoliennes offshore, de développement des interconnexions… Pourrez-vous tout faire ?

J-P.B : Nos besoins d’investissements vont en effet atteindre des niveaux que l’on n’a plus connus depuis le grand plan électronucléaire des années 1980. Il s’agit là d’un véritable défi en termes d’infrastructures, de financement, d’acceptabilité par la population... En termes financiers, la décarbonation de l’industrie pèse finalement assez peu, mais les gains en termes de lutte contre le changement climatique sont massifs et rapides. Les équipes de RTE sont donc pleinement mobilisés pour répondre à ce défi industriel et font de la décarbonation de l’industrie une priorité.

Vidéo - Pourquoi parler de décarbonation de l'industrie ?

Jean-Philippe Bonnet, directeur adjoint du pôle stratégie, prospective et évaluation chez RTE, décrypte le pouvoir du système électrique sur la décarbonation de la France.

Durée de la vidéo : 5 minutes 44 secondes

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image de couverture vidéo "Pourquoi parler de décarbonisation de l'industrie ?"