Image
consommation-auvergne
Image
en-tête-consommation-auvergne

Comment décarboner l’industrie française ?

Décarbonation
arrow
Le président de la République a reçu à l’Élysée, le mardi 8 novembre dernier, les dirigeants de 50 sites industriels en France les plus émetteurs de gaz à effet de serre. L’objectif ? Décarboner notre industrie pour accélérer la lutte contre le changement climatique. L’industrie française va en effet devoir apprendre à se passer des énergies fossiles et à utiliser davantage l’électricité. Une transition dans laquelle RTE jouera un rôle clé.
Paragraphes

Une décarbonation qui passe par l’électricité

On le sait : la France vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. L’industrie est l’un des secteurs les plus émetteurs dans notre pays après les transports, l’agriculture et le bâtiment.

La stratégie nationale « bas carbone » prévoit une diminution de ses émissions de gaz à effet de serre de 35 % à horizon 2030 et de… 81 % à horizon 2050 par rapport à 2015.

Pour atteindre de tels objectifs, l’industrie française va devoir apprendre à se passer des énergies fossiles comme le gaz naturel, le charbon ou le pétrole.

Image
Infographie SNBC - Réduire de 81 % les émissions de gaz à effet de serre pour l’industrie

L’électrification des procédés industriels reste « le meilleur moyen d’atteindre les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) qui vise la neutralité carbone en 2050 », assure l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

C’est, par exemple, le choix fait par ArcelorMittal sur ses sites français de Dunkerque et de Fos-sur-Mer. Premier émetteur de gaz à effet de serre en France, avec 12 des 78 millions de tonnes d’équivalent CO2 émises chaque année dans notre pays, l’entreprise a lancé un vaste projet de décarbonation progressive de son activité en Europe. À Dunkerque, dans une première phase, il s’agit de réduire les émissions de 36 % en remplaçant des hauts-fourneaux par des fours électriques, nécessitant jusqu’à 750 MW de puissance, soit la moitié d’un réacteur nucléaire de dernière génération.

À moyen terme, de l’hydrogène décarboné pourrait être utilisé à la fois pour traiter le minerai de fer en amont et pour valoriser le CO2 résiduel émis à l’aval. Sachant que c’est par l’électrolyse de l’eau que l’on produit de l’hydrogène décarboné, cela va nécessiter encore plus d’électricité…

Image
Jean-Philippe Bonnet
Jean-Philippe Bonnet
Directeur adjoint du pôle stratégie, prospective et évaluation

Décarboner l’industrie est une mutation profonde qui fera notamment appel à deux vecteurs énergétiques : l’électricité et l’hydrogène. Concrètement, il y a un usage direct de l’électricité et un usage indirect, via l’hydrogène. Cela va conférer un rôle majeur à RTE pour acheminer toute cette électricité.

Une forte demande de la part des industriels, en prévision d’un changement des règles du jeu en Europe

La sidérurgie n’est pas le seul secteur à avoir engagé ce processus de décarbonation. D’autres acteurs industriels se sont lancés dans des projets ambitieux faisant appel à l’hydrogène comme les raffineries de Total à la Mède (Bouches-du-Rhône) et Gonfreville (Seine-Maritime), le site chimique de Domo Chemicals à Saint-Fons (Rhône) ou la cimenterie Vicat de Montalieu-Vercieu (Isère). Résultat : depuis un an, RTE reçoit un nombre considérable de demandes de raccordements industriels alors que, les années passées, celles-ci se comptaient sur les doigts d’une seule main. « Sur le papier, la somme de ces projets représenterait un doublement de l’appel de puissance de toute l’industrie française raccordée au réseau RTE à l’heure actuelle ! », souligne Jean-Philippe Bonnet.

Tous ces projets témoignent d’une évolution manifeste des mentalités. Dans certains secteurs comme la cosmétique par exemple, les fabricants sont déjà prêts à payer plus cher pour des matières premières sans CO2. Mais elle s’explique aussi par un changement prochain des règles du jeu en Europe. Pour accélérer la décarbonation, l’Union européenne manie la carotte et le bâton.

Le bâton, c’est la suppression progressive des « quotas gratuits d’émission de CO2 ». Jusqu’à présent, pour ne pas encourager les industriels du Vieux-Continent à délocaliser leur production dans des pays moins regardants, les émissions de gaz à effet de serre étaient autorisées jusqu’à un certain niveau, fondé sur une référence historique. Cette tolérance ne sera bientôt plus de mise : sous peu, Bruxelles va en effet taxer le carbone contenu dans les produits importés mais aussi – afin de ne pas fausser la concurrence - celui produit par les entreprises présentes sur le territoire de l’Union. Les industriels ont donc intérêt à réduire au plus vite leurs émissions de CO2. La « carotte » prend surtout la forme des multiples subventions publiques annoncées dans le « Green Deal » et destinées à aider les entreprises à réaliser leur transition énergétique. Une grande partie de ces aides est destinée à développer la filière hydrogène en particulier. Tout cela explique en partie les multiples projets qui arrivent sur les bureaux de RTE.

Une nécessaire planification écologique

Ceux qui croyaient le « Plan » enterré avec le général de Gaulle vont devoir déchanter, car, dans ce domaine au moins, il est bel et bien de retour. Pour planifier la transition écologique des grandes filières, des sites ainsi que des technologies industrielles, le Président de la République a demandé au Gouvernement la mise en place, sous six mois, de « feuilles de route » avec des objectifs clairs et chiffrés par filière, par site et par technologie.

Pour Jean-Philippe Bonnet, « l’enjeu des infrastructures constitue un excellent sujet pour cette planification écologique ». En effet, les demandes sont largement concentrées dans quelques grandes zones industrielles bien identifiées : les grands ports français de Dunkerque, le Havre, Saint-Nazaire, Bordeaux ou Fos-sur-Mer, la vallée de la chimie au sud de Lyon, la Lorraine ou le bassin de Lacq…

Image
Vignette Parc éolien Saint Nazaire
Parc éolien de Saint-Nazaire

Partout, les projets affluent, mais y aura-t-il assez de terrains ? De subventions publiques ? D’infrastructures énergétiques ? « Dans les grandes zones industrielles, reprend Jean-Philippe Bonnet, la consommation d’électricité pourrait être multipliée par 2, voire par 3 ou 4 si on ajoute les besoins de production d’hydrogène. Cela va nécessiter de nouvelles lignes électriques, mais aussi des solutions de transport et de stockage de l’hydrogène. Tout ceci doit être coordonné dans l’espace et le temps. »

Penser le long terme

En pleine crise européenne de l’énergie, il peut paraître déraisonnable de chercher à augmenter la consommation d’électricité de l’industrie française, alors que nous ne savons pas si nous pourrons passer les prochains hivers sans coupure. Ce serait oublier que la décarbonation de l’industrie n’est pas une option, mais une obligation au regard de la lutte contre le changement climatique. Et cette contrainte comporte aussi l’avantage de réduire l’exposition des industriels à la fluctuation des cours des énergies fossiles, dans un contexte géopolitique de plus en plus troublé.

Les projets qui sont lancés aujourd’hui mettront plusieurs années à se réaliser et à monter en puissance. D’ici là, ils peuvent aussi constituer une opportunité pour repenser notre marché de l’électricité, sur la base de partenariats de long terme entre industriels et producteurs d’électricité, favorisant l’accélération des investissements dans la production d’électricité décarbonée.

Cette perspective de la hausse de la consommation industrielle avait bien été appréhendée par l’étude de RTE sur les « Futurs énergétiques 2050 », et les scénarios proposés par RTE permettent d’y répondre. Comme le résume Jean-philippe Bonnet : « De nombreux obstacles restent à franchir pour décarboner l’industrie française, mais c’est une formidable aventure dans laquelle RTE à un grand rôle à jouer ! »

3 questions à...

Jean-Philippe Bonnet, directeur adjoint du pôle stratégie, prospective et évaluation

  • Comment RTE fait-il face à la vague de demandes de raccordement qui affluent depuis plusieurs mois ?
Image
Jean-Philippe Bonnet
Jean-Philippe Bonnet
Directeur adjoint du pôle stratégie, prospective et évaluation

Cet afflux massif, concentré dans certaines zones, nous a obligé à repenser le processus. Plutôt que de répondre au coup par coup, nous concevons désormais le réseau globalement à l’échelle d’une zone industrielle et cherchons à mutualiser les nouvelles lignes à créer, quitte à prendre de l’avance sur les demandes. Cela a demandé un gros travail aux équipes en 2022, mais nous sommes mieux armés pour proposer des éléments robustes de planification à l’État et aux industriels concernés.

  • Il faut plusieurs années pour réaliser une ligne électrique : pensez-vous que RTE sera à l’heure pour répondre aux besoins des industriels ?

J-P. B : C’est un risque, car la modification des installations industrielles existantes peut aller assez vite. Actuellement, ce sont les délais d’obtention de nos autorisations administratives qui sont les plus contraignants. Deux arguments justifieraient de simplifier les choses dans le cas spécifique de la décarbonation de l’industrie : l’urgence climatique d’une part, et le fait que nous intervenons dans des zones industrielles déjà très marquées par l’empreinte humaine. Nous plaidons donc pour que ces procédures administratives soient allégées, au moins dans leur formalisme.

  • Ces projets viennent s’ajouter à un programme de travail déjà imposant, avec les besoins de renouvellement de votre réseau, de raccordement des éoliennes offshore, de développement des interconnexions… Pourrez-vous tout faire ?

J-P. B : Nos besoins d’investissements vont en effet atteindre des niveaux que l’on n’a plus connus depuis le grand plan électronucléaire des années 1980. Il s’agit là d’un véritable défi en termes d’infrastructures, de financement, d’acceptabilité par la population... En termes financiers, la décarbonation de l’industrie pèse finalement assez peu, mais les gains en termes de lutte contre le changement climatique sont massifs et rapides. Les équipes de RTE sont donc pleinement mobilisés pour répondre à ce défi industriel et font de la décarbonation de l’industrie une priorité.