Une nouvelle vague liée au numérique agite notre quotidien et les territoires. Que ce soient les étudiants, les particuliers ou les entreprises, tous affichent leur engouement face aux nouvelles technologies numériques, et notamment l’intelligence artificielle (IA). Derrière nos écrans se développe toute une infrastructure bien réelle et physique : celle des data centers. Retour en chiffres sur leur essor en France et, surtout, les moyens mis en œuvre par RTE pour insérer ces nouveaux clients dans le système électrique.
Paragraphes

Les chiffres à retenir

  1. 92 % des données des pays occidentaux stockées aux États-Unis ?

    C’était une estimation de plusieurs experts à la fin des années 2010. Mais la réglementation européenne incite fortement les entreprises qui opèrent sur le territoire européen à stocker les données personnelles de leurs clients sur ce même territoire. Les grands acteurs du numérique et d’Internet cherchent donc à localiser en Europe les data centers relatifs à leur activité sur le vieux continent.

  2. Près de 6 milliards d’euros d’investissement annoncés en France

    À l’occasion du sommet Choose France, le 13 mai 2024, plusieurs acteurs comme Microsoft, AWS, Equinix et Telehouse ont confirmé l’attractivité du territoire français et se sont dit prêts à y investir près de 6 milliards d’euros pour le développement de plusieurs data centers. Pour Microsoft, c’est son investissement le plus important jamais réalisé en France. Son objectif : le développement de data centers dans l’Hexagone afin de renforcer son infrastructure dans l’intelligence artificielle (IA) et le cloud.

  3. 300 data centers

    C’était le nombre de data centers présents en France en 2022, en grande majorité raccordés aux réseaux publics de distribution, avec des puissances de l’ordre de quelques mégawatts. Leur consommation est estimée à environ 10 TWh, soit environ 2 % de la consommation française totale en électricité sur l’année.

  4. 4,5 GW de demandes de raccordement signées

    Depuis quelques années, les projets de data centers, sont plus gros, plus nombreux et ils demandent un raccordement direct sur le réseau de transport RTE. Il n’est plus rare de recevoir des demandes à hauteur de 100 à 200 MW (soit une fourchette équivalente à celle de la consommation électrique entre la ville de Rouen et la ville de Bordeaux). Au-delà de quelques projets portés en propre par de grands acteurs du numérique, la majorité est constituée de data centers en « colocation » : un opérateur construit un bâtiment disposant de toutes les caractéristiques nécessaires à l’accueil sécurisé de serveurs informatique, et loue ensuite des mètres carrés à des entreprises. C’est 4,5 GW de capacité qui ont déjà fait l’objet d’offres de raccordement signées à début septembre 2024, et un volume équivalent est en instruction. 

  5. Plus de 90 % d’électricité décarbonée

    L’installation de data centers en France est une bonne nouvelle pour l’empreinte carbone du numérique. La production d’électricité française se situe en effet parmi les moins émissives en gaz à effet de serre en Europe. Un constat confirmé en 2023 avec plus de 92 % de production décarbonée, selon le Bilan électrique 2023 de RTE. Au-delà, la qualité et la fiabilité du réseau électrique français sont des éléments d’attractivité pour notre pays.

  6. 3 fois plus de besoins en électricité

    Le Bilan prévisionnel de RTE publié en 2023 table sur un triplement de la consommation d’électricité des data centers d’ici à 2035. Elle pourrait atteindre 23 à 28 TWh (soit 4 % de la consommation électrique française à cet horizon). Entre les serveurs informatiques et les systèmes de refroidissement, les data centers sont sollicitants en électricité, mais la puissance de raccordement demandée ne se traduit pas nécessairement tout de suite par de fortes consommations.

  7. 3 territoires privilégiés en France

    L’Île-de-France, la métropole de Marseille et les Hauts-de-France sont longtemps restés seuls sur le podium des territoires accueillant des data centers en France. En Île-de-France, les services de cloud computing se développent à proximité des sièges des grandes entreprises. Marseille, pour sa part, est la « porte d’entrée » des grands câbles sous-marins de télécommunication reliant l’Europe aux autres continents. Enfin, les Hauts-de-France bénéficient de leur proximité avec les grandes capitales européennes et de la présence d’un acteur historique, OVH. Mais les centres de calcul pour l’intelligence artificielle pourraient changer la donne : moins contraints par les délais de communication, ils pourraient être répartis sur l’ensemble du territoire national.

  8. 300 M€ d’investissements de RTE pour anticiper l’accueil de data centers

    En Île-de-France et au nord de Marseille, RTE investit pour développer des capacités d’accueil destinées aux data centers, à l’instar de ce qui est fait pour accompagner la décarbonation des grandes zones industrielles ou les besoins grandissants en électricité des territoires. Ce dispositif de « zones d’accueil mutualisées », récemment introduit dans la loi française, permet de développer par anticipation le réseau électrique dans un secteur donné, puis d’en répercuter équitablement les coûts sur les acteurs qui en bénéficieront pour se raccorder. Le choix de ces zones d’accueil mutualisées doit répondre aux attentes des développeurs de projet, mais se fait aussi en concertation avec l’État et les collectivités territoriales pour répondre aux besoins des habitants et des autres entreprises. Ainsi, en Île-de-France, RTE a confié, en février 2024, une étude à l’Institut Paris Région afin d’identifier des territoires propices à l’implantation future de data centers en adéquation avec les politiques publiques.

  9. 10 fois plus de besoin en énergie pour l’IA ?

    Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), une requête sur ChatGPT se révélerait dix fois plus énergivore qu’une simple recherche sur Google, qui consomme 0,3 Wh d’électricité. Certains soulèvent la question de l’empreinte énergétique des usages de l’intelligence artificielle. Pour d’autres, ces chiffres sont inutilement alarmistes, car ils n’intègrent pas les progrès à venir.

  10. 10 à 15 ans et des réserves

    Au regard des fortes puissances demandées par les infrastructures numériques, notre système électrique pourra-t-il suivre ? Les premiers constats de RTE sont rassurants, pour autant que le développement de ces infrastructures se fasse avec un minimum de planification. La montée en charge des « colocations » de data centers est progressive : leurs promoteurs peuvent prévoir un remplissage de leur capacité d’accueil sur 10 à 15 ans. Ils ne fonctionnent donc pas à plein régime tout de suite. Par ailleurs, certains opérateurs gardent des réserves pour secourir mutuellement leurs sites. Aux Pays-Bas, certains data centers fonctionnent en « trio coordonné », c’est-à-dire qu’ils fonctionnent ensemble mais pas à leur pleine capacité. Ils consomment entre 40 et 60 % de la puissance de raccordement demandée. Le restant non consommé est une réserve de capacité de secours entre sites, en cas de problème sur l’un des data centers.

  11. 4 premiers sites « fast track » pour des raccordements rapides de grands centres de calcul pour l’IA

    En écho à la stratégie française en matière d’intelligence artificielle, plusieurs grands investisseurs internationaux ont exprimé leur intention d’implanter en France des centres de calcul de très forte puissance. L’Etat et RTE ont identifié plusieurs sites particulièrement propices offrant une grande surface constructible, à proximité du réseau à très haute tension. Sur ces sites, les opérateurs pourront bénéficier de la part de RTE d’un accès rapide à de fortes puissances (entre 400 et 1000 MW), sans que cela ne génère des conflits d’usage. Une procédure de raccordement dédiée à ces sites a été approuvée par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) le 7 mai 2025. En accord avec les acteurs locaux, l’Etat a sélectionné, puis annoncé les 4 premiers sites « fast track » lors du sommet Choose France, le 19 mai 2025. Plusieurs candidats ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt pour ces sites.

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La parole à Colas Chabanne, directeur du service commercial chez RTE Marseille

Colas Chabanne
Directeur du service commercial chez RTE Marseille

Marseille est dans le top 10 mondial des hubs de connectivité télécom, grâce à sa place privilégiée comme point d’arrivée européen de nombreux câbles sous-marins internationaux. Cela lui confère un grand potentiel pour le développement de data centers. Mais les conditions de raccordement dans la ville ne permettaient pas à la filière de concrétiser ses projets : les data centers commençaient à entrer en concurrence avec d’autres projets locaux comme l’alimentation électrique des navires à quai dans le port, l’aménagement du quartier Euroméditerranée, etc. Sous le pilotage de la préfecture de région, RTE a travaillé avec Enedis et les opérateurs de data centers pour identifier une zone plus favorable à leur raccordement, et conçu une infrastructure mutualisée pour répondre aux demandes en optimisant les évolutions du réseau. La zone de Plan de Campagne, au nord de la ville, va ainsi accueillir, autour d’un nouveau poste électrique à très haute tension, plus de 300 MW de projets, avec une extension envisagée jusqu’à près de 500 MW de puissance électrique demandée. Ces raccordements mutualisés permettent de gagner 2 ans sur la durée des travaux et de partager les coûts de façon équitable, au prorata de la puissance électrique demandée. 

2 questions à Jean-Philippe Bonnet & Séverine Laurent

Comment RTE fait face aux nombreux projets de data centers qui émergent sur le territoire ?

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Jean-Philippe Bonnet
Directeur adjoint du pôle stratégie, prospective et évaluation

Offrir des solutions de raccordement au réseau électrique aux projets de data centers fait partie de notre mission de service public. Le numérique est de plus en plus présent dans nos vies personnelles et professionnelles. La relocalisation des données sur le sol européen et l’utilisation de l’électricité décarbonée française sont des bonnes nouvelles pour notre souveraineté numérique et la décarbonation des usages. Pour autant, ce développement doit être organisé. Nos règles et nos pratiques doivent dissuader les comportements abusifs de certains acteurs : surdimensionnement des projets, captation des capacités résiduelles… Les besoins d’électricité à venir ont bien été intégrés dans notre Bilan prévisionnel. Il s’agit maintenant de développer le réseau électrique afin d’accompagner l’expansion et la progression en taille du parc de data centers. RTE constate une concentration des demandes dans certains endroits du territoire qui nécessitent des investissements : il est plus rationnel pour la collectivité, pour les clients, de mutualiser ces demandes afin de limiter les nouvelles infrastructures à créer, et ce dans des zones où les data centers sont les bienvenus. Cela suppose un travail de programmation pour les infrastructures, pour obtenir les autorisations… et les construire dans le respect des coûts et des délais.

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Séverine Laurent
Ex-directrice des affaires publiques Île-de-France, pilote d’affaires au département études de réseaux (développement & ingénierie), chez RTE

Pour raccorder les data centers, il faut adapter le réseau électrique et développer les capacités sur les lignes à haute tension. Or, cette capacité supplémentaire est demandée en parallèle par d’autres projets, de transport urbain, d’urbanisation, de réindustrialisation… Nous devons donc autant que possible réussir à structurer, organiser, et le faire en lien avec les territoires, en priorisant les besoins de la population.

Comment RTE travaille avec les territoires face à ces nombreux projets ?

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Séverine Laurent
Ex-directrice des affaires publiques Île-de-France, pilote d’affaires au département études de réseaux (développement & ingénierie), chez RTE

Les porteurs de projets ont un besoin d’anticipation et de planification, au même titre que les collectivités qui ont pour mission d’aménager leur propre territoire. Un travail est actuellement mené par RTE avec l’Institut Paris Région et les pouvoirs publics pour dessiner une géographie préférentielle d’implantation des data centers. Nous avons croisé différents critères, dont bien sûr la capacité à développer le réseau électrique. RTE ne peut pas prendre le risque d’investir par anticipation dans des zones peut-être visées par les data centers, mais où l’État et les collectivités territoriales ne souhaiteraient pas les voir s’installer.

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Jean-Philippe Bonnet
Directeur adjoint du pôle stratégie, prospective et évaluation

En pratique, nous utilisons les « zones d’accueil mutualisées », initialement pensées pour les zones industrielles, en tant qu’outil pour organiser l’accueil « électrique » des data centers. Mais autant la localisation des grandes zones industrielles est connue, autant l’implantation des data centers relève d’une vraie réflexion d’aménagement du territoire : RTE ne peut pas décider tout seul où créer ces zones d’accueil. Des discussions avec les acteurs territoriaux sont nécessaires pour éclairer les décisions publiques. Il s’agit de concilier la disponibilité de foncier adapté à ce type d’installations, les projets de développement des territoires ou de valorisation de zones d’activités, et la capacité à développer le réseau électrique. C’est donc un échange continu entre les territoires, les porteurs de projet et RTE qui permettra le développement le plus efficient.

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