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Mat d'éolienne
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Mat d'éolienne

Futurs énergétiques : quels chemins vers la neutralité carbone ?

Transition énergétique
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Dans trente ans, notre pays devra être « neutre en carbone ». Une ambition qui va nous conduire à modifier certains de nos usages, sans revenir à l’âge de pierre pour autant. Voici pourquoi.

L’objectif que s’est fixé la France est si simple à énoncer qu’il tient en quatre mots : « neutralité carbone en 2050 ». Et pourtant, il sera redoutablement difficile à atteindre. RTE a présenté le 25 octobre 2021 différents scénarios permettant de réussir cette transformation, certains reposant exclusivement sur les énergies renouvelables, d’autres s’appuyant en partie sur le nucléaire. L’intérêt de ce travail est de mettre à la disposition de tous les éléments permettant d’éclairer les choix à venir. Voici ce qu’il faut savoir.
Paragraphes

Moins de pétrole, plus d’électricité

Depuis des décennies, nous mettions de l’essence dans nos voitures ; demain, nous les rechargerons à l’électricité. Voilà une illustration parfaite de la transition énergétique que nous nous apprêtons à vivre collectivement. Pour le climat, il s’agit d’une excellente nouvelle. Alors que notre économie et nos modes de vie sont basés sur des énergies fossiles, fortement émettrices de gaz à effet de serre, nous n’utiliserons bientôt plus que des énergies dites bas carbone. Cela n’en représente pas moins un défi considérable : en 2020, environ 60 % de notre consommation d’énergie était assurée par des énergies fossiles, à raison d’environ 43 % pour le pétrole, de 19 % pour le gaz fossile et de 1 % pour le charbon. En 2050, cette part doit passer à… 0. 

Avant tout, la part de l’électricité est amenée à augmenter considérablement, au point de remplacer le pétrole comme principale source d’énergie du pays. Pour le reste, il nous faudra nous tourner vers d’autres énergies  « vertes » comme la biomasse (chaleur dégagée par la combustion du bois, des déchets agricoles, des ordures ménagères…) ou les gaz verts (parmi lequel, l’hydrogène vert, produit à partir d’une énergie bas-carbone).

Sans énergies renouvelables, point de salut

RTE est formel : pour produire cette électricité supplémentaire, la France n’aura d’autre choix que de recourir aux énergies renouvelables, et ce y compris dans les trajectoires les plus optimistes sur la faculté à renouveler le parc nucléaire. Il faut savoir en effet que nos centrales actuelles, de seconde génération, auront atteint leur limite technique d’exploitation d’ici à 2060. Or, même en considérant le rythme le plus rapide de construction de nouveaux réacteurs proposé à ce jour par les acteurs du nucléaire, on ne parviendrait pas à répondre à la demande croissante d’électricité que par ce seul moyen. Le recours au charbon, au gaz et au pétrole étant exclu, il est donc indispensable de se tourner vers les énergies renouvelables.

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Thomas Veyrenc - Directoire RTE
Thomas Veyrenc
Membre du directoire de RTE et Directeur général en charge de l’Economie, de la Stratégie et des Finances

Le recours au charbon, au gaz et au pétrole étant exclu, il est donc indispensable de se tourner vers les énergies renouvelables.

Un mix électrique aujourd’hui fortement décarbonné grâce au nucléaire 

Pourrait-on à l’inverse s’affranchir totalement de l’atome ? Théoriquement, oui : trois des scénarios présentés par RTE reposent exclusivement sur les énergies renouvelables à horizon 2060. Ils se heurtent cependant à deux difficultés principales. La première est tout bonnement une question de vitesse d’installation des infrastructures. Sans nucléaire, la France devrait construire des éoliennes et des parcs solaires à un rythme supérieur à celui des pays européens les plus performants en la matière : l’Allemagne pour l’éolien terrestre et le solaire, le Royaume-Uni pour l’éolien en mer. Et il lui faudrait accomplir ces deux exploits en même temps. Tout cela est possible sur le papier, mais les défis associés sont immenses.

La seconde difficulté vient du fait que, pour assurer la sécurité d’approvisionnement dans un système à forte part en énergie renouvelable dont la production est variable, il y a un ensemble de conditions techniques qui doivent être remplies, et toutes en même temps. Prises indépendamment, les solutions fonctionnement déjà, mais il faut encore des efforts de recherche et développement pour les faire fonctionner ensemble et à l’échelle d’un pays grand comme la France.

Dans le monde, rares sont les États qui font le pari d’un scénario « 100 % énergies renouvelables » tout en prévoyant de produire toute l’énergie qu’ils consomment. La Norvège est l’une de ces rares exceptions, mais elle ne compte que 5 millions d’habitants et dispose d’un énorme parc hydroélectrique. Deux caractéristiques que l’on ne retrouve pas en France, forte d’une population de 67 millions d’habitants et où l’exploitation des barrages est déjà proche de son maximum.

Cela dit, d’autres incertitudes pèsent sur les scénarios qui prévoient une part de nucléaire, souligne RTE. Ils supposent en effet que l’on parvienne à la fois à maîtriser la technologie des petits réacteurs modulaires (les fameux SMR), à mettre en place les grandes centrales EPR de deuxième génération à un rythme soutenu, et cela en réussissant à prolonger la durée de vie des réacteurs actuels jusqu’à 60 ans et certains au-delà. Tout cela représente également un défi technologique et repose sur des prérequis indispensables en matière de sureté.

Le nucléaire moins cher que les énergies renouvelables

Chacun le sait : il n’y a pas toujours du vent et il n’y a moins encore de soleil. Mais cette évidence a des conséquences majeures. Il signifie en effet que, pour faire fonctionner un système qui repose en majorité sur des éoliennes et des panneaux solaires, des dispositifs complémentaires sont indispensables, les « flexibilités » : stockage hydraulique, batteries, centrales fonctionnant à l’hydrogène (ce qui suppose aussi de produire et d’acheminer cet hydrogène)… Un système dans lequel la part du nucléaire reste importante, lui, est moins confronté à ce type de dépenses.

L’atome dispose d’une autre spécificité vis-à-vis des énergies renouvelables. Les centrales sont concentrées en quelques points du territoire qui disposent déjà, en grande partie, d’infrastructures de réseaux de transport d’électricité. Les éoliennes et les panneaux solaires, eux, devront être installés de manière plus diffuse et nécessiteront la création de réseaux de transport et de distribution, qui n’existe pas aujourd’hui. 

C’est pourquoi, tout compte fait, les scénarios qui reposent sur une relance du nucléaire s’avèrent, dans la plupart des configurations testées, moins coûteux que ceux qui reposent, à terme, exclusivement sur les énergies renouvelables. Et ce bien que l’ensemble des coûts de la filière nucléaire (de la construction au démantèlement) aient été pris en compte et ce, de manière prudente, en particulier ce que l’on appelle « l’aval du cycle » : le traitement et stockage des déchets nucléaires.

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Panneau solaire
Une ferme de panneaux solaires

Le prix de l’électricité va-t-il augmenter ?

On pourrait en déduire que notre facture énergétique va inéluctablement s’envoler. Or, ce n’est pas certain. Il va de soi que la France va devoir investir davantage pour produire de l’électricité, puisque celle-ci va prendre une part considérable dans notre économie. Pourtant, nos factures énergétiques individuelles pourraient ne pas suivre la même pente ascendante, et cela pour deux raisons. D’une part, le tarif de l’électricité dépend d’autres facteurs, comme les taxes. D’autre part, et surtout, il faut garder à l’esprit que d’autres dépenses vont diminuer. Imaginons une famille qui se chauffe aujourd’hui au gaz et roule dans une voiture classique. Et imaginons la même famille, demain, vivant dans une maison dotée de panneaux solaires et circulant dans une voiture électrique. Sa facture d’électricité va certes augmenter, mais, dans le même temps, elle n’aura plus à payer pour le gaz ni pour l’essence. Si les énergies fossiles demeurent chères, cette transition vers la neutralité carbone peut être bénéfique pour le consommateur, même en intégrant les très lourds investissements qu’elle implique…

Une transition majeure

On le constate : le débat ouvert par la « neutralité carbone en 2050 » est loin de se limiter à l’opposition nucléaire/énergies renouvelables. Car quel que soit le chemin emprunté, tout ou presque va changer dans notre pays : nos paysages, nos habitudes de déplacement, notre manière de nous chauffer… Chaque scénario présente des avantages, des risques, des incertitudes et des coûts différents. Désormais, c’est aux Français de trancher.

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Thomas Veyrenc - Directoire RTE
Thomas Veyrenc
Membre du directoire de RTE et Directeur général en charge de l’Economie, de la Stratégie et des Finances

Le débat ouvert par la « neutralité carbone en 2050 » est loin de se limiter à l’opposition nucléaire/énergies renouvelables.

3 questions à Thomas Veyrenc, Directeur Exécutif en charge du pôle Stratégie, Prospective et Evaluation

  • Pour réussir sa transition énergétique, la France peut-elle se passer des éoliennes ?

Non : la France ne peut atteindre la neutralité carbone en 2050 sans éolien. À défaut, il faudrait en effet soit recourir davantage au nucléaire - mais à un rythme qui semble aujourd’hui impossible à tenir - soit se tourner vers les énergies fossiles, ce qui nous empêcherait évidemment d’atteindre nos objectifs climatiques. Donc, sans éolien, il n’y a pas de solution viable.

  • Pourquoi ne pas tout miser sur le solaire ?

Le solaire est une solution pour la transition énergétique, mais il produit moins que l’éolien à capacité égale ! Certes, le vent, lui non plus n’est pas permanent, mais il y a plus de vent l’hiver, au moment où nos besoins sont les plus importants. C'est pourquoi, tout en développant le solaire, la France va devoir aussi s'habituer aux éoliennes. Selon nos calculs, le nombre de mats devrait passer de 8000 aujourd’hui à entre 15 000 ou 30 000 en 2050. Cela dit, l’Allemagne en compte déjà autant aujourd’hui - alors que son territoire est moins vaste que le nôtre.

  • Les conflits à ce sujet ne risquent-ils pas aussi de se multiplier ?

Les énergies renouvelables occupent en effet plus d’espace. On n’en a pas conscience, mais, aujourd’hui, notre système énergétique est très largement invisible en France : le pétrole et le gaz que nous utilisons sont extraits à l’étranger tandis que les centrales nucléaires et les barrages sont concentrés en quelques points du territoire. Demain, les éoliennes et les panneaux solaires seront répartis de manière plus diffuse dans toutes les régions et il faudra plus d’infrastructures de réseau pour les raccorder. Leur impact sur notre cadre de vie sera donc plus important. Il s’agit d’un point sensible, a fortiori dans un pays comme le nôtre, très attaché à ses paysages.