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Illustration - Dossier prix de l'électricité
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Illustration - Dossier prix électricité

Prix de l’électricité : ce qui les fait fluctuer, du marché à la facture

Consommation
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Guerre en Ukraine, lutte contre le réchauffement climatique, évolution des prix des combustibles, taxes diverses… De multiples paramètres et événements exercent une influence sur le prix de l’électricité. Pourquoi et comment les prix de l’électricité évoluent-ils ? De quoi exactement est composée notre facture ? Et comment est-elle susceptible d’évoluer dans les années qui viennent ? Voici quelques éléments de réponse.
Paragraphes

La règle des trois tiers

En tant que particulier, notre facture se divise pour simplifier en trois tiers. Le premier dépend du prix de production de l’électricité ; le second de son acheminement (transport et distribution) ; le troisième des taxes. La situation est différente pour les industriels qui bénéficient de frais d’acheminement et de taxes moindres (ils sont connectés à des niveaux de tension plus élevés, et ils récupèrent la TVA, par exemple). En revanche, le prix de production est le même pour tous. Reste à savoir comment celui-ci est déterminé et, pour cela, il faut se pencher sur le « marché de gros ».

Un marché aux règles singulières

Le « marché de gros » de l’électricité fonctionne de manière particulière car non seulement il s’agit d’un marché européen (voir l’encadré « Trois questions à »), mais on n’y raisonne pas en « prix moyen », mais en « prix marginal ». En clair : c’est le coût de la dernière centrale retenue pour satisfaire la consommation qui fait le prix pour toutes les autres. Qu’il soit issu d’un panneau solaire, d’un barrage hydraulique, d’une centrale nucléaire à gaz importe peu : tous les kilowattheures sont vendus selon la valeur du coût marginal.

On peut s’étonner de voir un marché ne pas raisonner en fonction du prix moyen, mais du prix marginal. Il y a pourtant à cela une bonne raison. « L’avantage de ce système est qu’il conduit à faire systématiquement appel à la centrale disponible la moins chère en Europe pour produire un kilowattheure supplémentaire », précise Yannick Jacquemart, directeur nouvelles flexibilités pour le système électrique de RTE.

Des prix qui varient beaucoup selon les modes de production

Il faut également savoir que, pour établir le coût marginal, on ne tient aucunement compte de l’argent qu’il a fallu consacrer à l’investissement (la construction d’une centrale nucléaire, par exemple), mais uniquement du coût variable de fonctionnement, c’est-à-dire le coût pour produire un kWh supplémentaire. Or, ce dernier dépend énormément des modes de production.

Prenons l’exemple d’un jour de grand vent. Grâce à ces conditions météo favorables, les éoliennes tournent à plein régime et produisent beaucoup d’électricité pour un coût variable quasiment nul dans la mesure où le vent est gratuit et les frais de maintenance très faibles. Imaginons encore que nous soyons au début de l’été (période où la consommation est faible) et que cette production suffise à satisfaire la demande. En conséquence, le prix de l’électricité sur le marché de gros sera très faible, voire nul.

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Yannick Jacqumart, Directeur nouvelles flexibilités du système électrique
Yannick Jacquemart
Directeur Nouvelles flexibilités pour le système électrique de RTE

Les modes de production de l’électricité dont les coûts variables sont les plus faibles sont l’éolien, le solaire et l’hydraulique.

Changement de décor. Nous sommes maintenant en plein hiver, lors d’une journée sans vent. Les éoliennes sont à l’arrêt. Pour satisfaire la dernière demande, il faut donc recourir à un tout autre mode de production : une centrale à charbon, dont le coût de production est bien plus onéreux. Résultat logique : le prix de l’électricité sur le marché de gros sera beaucoup plus élevé.

Les modes de production de l’électricité dont les coûts variables sont les plus faibles sont l’éolien, le solaire et l’hydraulique. On trouve ensuite le nucléaire car, une fois la centrale construite, il suffit pour la faire fonctionner d’y mettre un peu d’uranium enrichi pour produire de grandes quantités d’électricité. En revanche, celui des centrales à énergie fossile est beaucoup plus élevé puisqu’il intègre et le prix de la matière première (le cours du baril pour le fioul, par exemple) et le prix du CO2, de plus en plus coûteux en raison de la lutte contre le réchauffement climatique. Selon les périodes, le charbon vaut plus cher que le gaz, mais ce n’est pas systématique. Les centrales au fioul, elles, sont les plus onéreuses de toutes.

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Yannick Jacqumart, Directeur nouvelles flexibilités du système électrique
Yannick Jacquemart
Directeur Nouvelles flexibilités pour le système électrique de RTE

Le prix des centrales à énergie fossile est beaucoup plus élevé puisqu’il intègre et le prix de la matière première (le cours du baril pour le fioul, par exemple) et le prix du CO₂.

Un marché très volatil

Les fournisseurs d’énergie font donc leurs emplettes sur le marché de gros. Et comme l’électricité ne se stocke pas, ils achètent une partie de leur fourniture en temps réel. Or, selon les jours et même les heures de la journée, le prix varie énormément. S’il se situe parfois sous la barre des 40 euros le mégawattheure, il peut s’envoler jusqu’à… 300, 1 000 voire 3 000 euros dans les situations de manque de production !

Heureusement pour nous, consommateurs, il existe de grandes différences entre le marché de gros et le marché de détail, qui comprend souvent des offres à prix fermes et de tarifs réglementés, ce qui nous évite d’avoir à subir ces effets de yo-yo. De plus, l’actualité récente l’a montré, les politiques n’hésitent pas à intervenir pour contrôler ce sujet toujours sensible.

Quand le prix du gaz a un effet sur celui de l’électricité…

Pourquoi ceux d’entre nous qui se chauffent à l’électricité voient-ils leur facture varier selon le cours du gaz ? Réponse : tout simplement parce qu’une grande partie de l’électricité est produite en Europe à partir de ce même gaz et que, très souvent, c’est une centrale à gaz qui est appelée en dernier sur le marché de gros. En France la proportion de production au gaz est plus faible, mais il arrive souvent que ce soit aussi la dernière centrale appelée.

Quand EDF vend de l’électricité à ses concurrents

On l’a dit : si le kilowattheure fourni par une centrale nucléaire coûte peu à produire, il est souvent vendu au prix du kilowattheure fourni par une centrale à gaz, lequel est beaucoup plus élevé. Résultat : EDF, grâce à son parc nucléaire, bénéficie d’une sorte de rente, grâce à laquelle les investissements consentis pour construire les centrales peuvent être rentabilisés. Mais rien ne garantit que cette rente soit ajustée sur la valeur des annuités d’investissement.

Au contraire, ses concurrents sont obligés d’acheter leur énergie sur le marché de gros à des tarifs parfois supérieurs, comme en ce moment. Impossible pour eux, dans ces conditions, de concurrencer l’exploitant du parc nucléaire.

C’est pourquoi, en 2010, la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité) a instauré l’« accès régulé à l’énergie nucléaire historique » (ARENH). Derrière ce nom barbare, un dispositif contraignant : EDF est tenue de vendre à ses concurrents un certain volume d’électricité produite par son parc nucléaire à un tarif fixe - et non indexé sur le marché de gros. De quoi, en théorie, permettre aux autres fournisseurs français de lutter à armes égales avec l’entreprise nationale.

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Illustration - Dossier prix de l'électricité

Des prix de plus en plus élevés

Plusieurs raisons se conjuguent pour expliquer la hausse observée ces derniers temps. L’une d’elle est conjoncturelle : la reprise économique post-Covid a provoqué une forte hausse de la demande, notamment en Asie. La Chine a même dû mettre certaines villes dans le noir en 2021 ! D’autres, liées à la lutte contre le réchauffement climatique, sont structurelles. Il a en effet été décidé de relever le prix du CO2, ce qui a des conséquences sur tous les prix de l’électricité produite à partir d’énergies fossiles.

Il faut également savoir que de nombreux pays comme l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume-Uni délaissent peu à peu le charbon au profit du gaz, considéré comme une énergie de transition indispensable avant que le nucléaire et les énergies renouvelables – qui n’émettent pas de gaz à effets de serre – suffisent à eux seuls à satisfaire la totalité de la demande. Ce mouvement contribue lui aussi à alimenter la demande de gaz, donc à faire monter les prix de l’électricité produite à partir de centrales à gaz…

L’influence de la guerre en Ukraine

Depuis l’intervention décidée par Vladimir Poutine, les Européens sont décidés à moins recourir au gaz russe, mais, pour cela, il leur faut trouver d’autres sources d’approvisionnement. Or, il n’existe que deux moyens pour se procurer du gaz : les gazoducs et les bateaux méthaniers, qui transportent du gaz liquéfié. Deux quasi-impasses à court terme. Il faut en effet cinq à dix ans pour construire un gazoduc. Quant au gaz liquéfié, il est l’objet d’une telle demande que ses prix s’envolent eux aussi.

De son côté, Vladimir Poutine pourrait être tenté de couper le robinet de son gaz aux Européens pour les punir du soutien qu’ils apportent à Kiev. À ceci près que la Russie a besoin d’argent… Moscou peut certes envisager de se tourner vers la Chine, mais, là encore, ce ne sera pas simple. « Les gazoducs russes orientés vers l’Ouest ne permettent pas d’envoyer du gaz vers le Sud », rappelle Yannick Jacquemart.

Il n’empêche : ce conflit aura inévitablement pour conséquence d’orienter les prix de l’électricité à la hausse, mais peut-être également d’accélérer  la transition énergétique en cherchant des alternatives au gaz…

3 questions à Yannick Jacquemart, Directeur nouvelles flexibilités pour le système électrique de RTE

  • Quel est l’intérêt pour la France de participer à l’Europe de l’électricité ?

Cela renforce en premier lieu la sécurité de notre approvisionnement. En cas de panne, nous pouvons compter sur l’électricité produite par nos voisins. Cela nous permet aussi de réaliser des économies. À tout moment, la France peut accéder à l’électricité la moins chère disponible, même si elle se situe dans un autre pays. Enfin, et cela est très important, ce système bénéficie aux énergies renouvelables. Quand nous manquons de vent, plutôt que faire démarrer des centrales à gaz, nous pouvons profiter des éoliennes qui tournent en Espagne ou ailleurs. 

  • Pourquoi importons-nous de l’électricité alors que nous sommes censés bénéficier de prix compétitifs grâce au nucléaire ?

Parce que l’électricité ne se stocke pas et que la production nucléaire ne suffit pas toujours à couvrir notre consommation, surtout en hiver. Pour donner un ordre de grandeur, notre parc nucléaire peut produire jusqu’à 61 Gigawatt - ce qui n’arrive jamais, en raison des travaux de maintenance et des pannes - alors que la plus grande pointe de consommation s’est élevée à 102 Gigawatt en février 2012.

  • Le 4 avril, pendant une heure donnée, à 9h du matin, le prix de l’électricité a atteint un record de 2 880 euros le MWh. Pourquoi ?

Comme nous l’expliquons au sein de ce dossier, le prix de l’électricité est déterminé par le dernier moyen de production appelé. Or, dans des situations de tension entre l’offre et la demande, le dernier moyen appelé peut être très cher, comme par exemple le 4 avril dernier au matin, où l’on a atteint un prix proche du plafond de 3 000 euros le MWh. En effet, pour éviter les coupures d’électricité et garantir l’équilibre offre/demande, le marché européen de l’électricité a fait appel aux derniers moyens disponibles, même les plus chers, car nous n’avions plus de marge en France et les capacités d’interconnexion étaient déjà saturées. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle RTE a émis un signal Orange sur son site https://www.monecowatt.fr/, invitant les Français, les entreprises et les collectivités à effectuer des éco-gestes pour réduire la consommation d’électricité en France et pouvoir ainsi passer cette « pointe ».